11 Mars 2023
Que fait un botaniste en attendant que les plantes se réveillent de leur profond sommeil hivernal ? 🤔 Il regarde les arbres, ceux qui ont gardé leurs feuilles tout l'hiver, les conifères également appelés résineux ou encore gymnospermes. 🌲
Rien de tel alors qu'une promenade dans un parc urbain pour partir à la découverte des conifères d'ici et surtout d'ailleurs ! La région parisienne n'est pas une terre de résineux... Ils y sont généralement cultivés. Quelques uns se sont naturalisés comme le Pin sylvestre ou l'If commun.
Notes de Terrain mène une enquête à la découverte de l'identité d'un résineux rencontré dans le parc de Grouchy.
L'identification des espèces de résineux passe par l'observation :
Les feuilles sont les premiers éléments faciles à observer :
Forme des feuilles | écailles imbriquées | aiguilles insérées en solitaire sur les rameaux | aiguilles fasciculées (groupées par 2, 3 ou 5) |
Illustration |
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Genres principaux |
Faux cyprès (Chamaecyparis), Cyprès (Cupressus), Genévriers (Juniperus), Thuyas (Thuja) |
Sapins (Abies), Cèdres (Cedrus), quelques Genévriers (Juniperus), Mélèzes (Larix), Epicéas (Picea), Douglas (Pseudostuga), If (Taxus), Tsuga (Tsuga) | Pins (Pinus) |
Voici les feuilles du résineux mystère :
Les feuilles de notre résineux ne sont clairement ni en écailles imbriquées, ni en aiguilles fasciculées. Elles sont insérées une par une sur les rameaux. Nous avons 8 genres principaux répondant à ce critère. Allons plus loin ! Observons la disposition des feuilles sur les rameaux :
Aiguilles insérées en solitaire sur les rameaux |
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Disposition | sur 2 rangs | sur 4 rangs ou en écouvillon | aplaties et pointues | par fascicule |
Illustration |
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Genres principaux | Sapins (Abies), If (Taxus) | Epicéas (Picea), Douglas (Pseudostuga), Tsuga (Tsuga) | Genévriers (Juniperus) | Cèdres (Cedrus), Mélèzes (Larix |
Notre résineux n'a clairement pas les feuilles groupées en fascicule, et ses feuilles ne sont pas aplaties et pointues. On peut éliminer Cèdres, Mélèzes et Genévriers. 😉
Pour se faire une idée de la disposition des feuilles de notre résineux sur leurs rameaux, les feuilles ont été observées en les regardant de l'extrémité du rameau :
Personnellement, je trouve qu'il n'est pas toujours facile d'être affirmatif sur la disposition des aiguilles sur les rameaux : 2 rangs ? 4 rangs ? en écouvillon ? 🤔 C'est le cas de notre résineux. : avec ses feuilles disposées en nombre sur le haut et le côté des rameaux, et pratiquement aucun sous le rameau, on n'est ni sur du 2 rangs ni sur du 4 rangs ni sur de l'écouvillon. 😐 Alors, autant analyser toutes les espèces susceptibles de correspondre : Sapins, If, Epicéas, Douglas et Tsuga.
Ce tableau regroupant les caractères représentatifs de chaque espèce sera bien utile pour faire le tri :
Genre | Critères représentatifs |
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Sapins (Abies) | - Cônes femelles dressés sur les rameaux, - Cônes femelles se désarticulant écaille par écaille sur l'arbre pour libérer les graines, laissant seulement l'axe central du cône dressé sur l'arbre, - Insertion des feuilles en forme de disque directement sur le rameau ; en tombant, les feuilles laissent une cicatrice ronde sur le rameau. |
Epicéas (Picea) | - Cônes femelles pendants sur les rameaux à maturité (les jeunes cônes femelles sont d'abord dressés sur le rameau), - Cônes femelles tombant intacts au sol, - Insertion des feuilles se fait sur un court prolongement du rameau appelé segment foliaire. Celui-ci vient avec la feuille si l’on l'arrache mais reste sur le rameau si la feuille se détache naturellement. |
Douglas (Pseudostuga) | - Cônes femelles pendants sur les rameaux à maturité (les jeunes cônes femelles sont d'abord dressés sur le rameau), - Cônes femelles tombant intacts au sol, - Cônes femelles à bractées trilobées dépassant largement des écailles, - Bourgeon terminal du rameau pointu |
If (Taxus) | - Cônes femelles globuleux, rouges, charnus, renfermant une graine |
Tsuga (Tsuga) | - Cônes femelles pendants sur les rameaux à maturité (les jeunes cônes femelles sont d'abord dressés sur le rameau), - Cônes femelles tombant intacts au sol, - Cônes femelles réduits (longueur < 3.5 cm) comportant peu d'écailles, - Bourgeon terminal du rameau arrondi |
Ce tableau montre que l'observation des cônes est particulièrement intéressant pour l'identification. Oui mais voilà : aucun cône sur les branches basses du résineux.... 😞 Les cônes sont là-haut, très haut dans l'arbre, à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol... 🤨
Comment s'en sortir ? Regarder au sol, bien sûr ! 😉 Voici ce qui a été trouvé au sol au pied du résineux mystère :
Je vous laisse faire le tri et trouver les cônes, ce qui ne devrait pas être compliqué ! 😅
Les cônes sont de petite taille : autour de 5 cm.
Le cône de notre résineux nous apprend beaucoup de choses :
Notre résineux serait donc un Epicéa (Picea) ? Ah bon ? Il ne ressemble pourtant pas du tout à notre "sapin de Noël" qui est souvent un épicéa...
Un critère indiscutable entérine pourtant cette détermination :
L'insertion des feuilles se fait sur un court prolongement du rameau appelé segment foliaire. Celui-ci vient avec la feuille si l’on l'arrache mais reste sur le rameau si la feuille se détache naturellement.
Voici ce critère en photo :
On voit parfaitement que les feuilles sont insérées sur le rameau par l'intermédiaire d'un petit segment qui reste sur le rameau défeuillé, le fameux segment foliaire.
Notre résineux est donc bien un épicéa ! 😄
C'est un excellent critère pour reconnaître un épicéa, même sur rameaux morts !
Il existe environ 40 espèces d'Epicéa dans le monde dont 3 en Europe. Une seule espèce spontanée est présente en France dans les Alpes, le Jura et les Vosges : Picea abies (l'Epicéa commun). Et si notre résineux était un représentant de l'Epicéa commun habitant le sol français ? Pour le savoir, il nous faut continuer l'enquête ! 🙂
C'est la longueur des feuilles de notre Epicéa (2 cm environ) qui nous oriente vers un groupe de 12 espèces d'Epicéa dont les feuilles mesurent environ 2 cm de long :
P. abies, P. alcoquiana, P. brachytila, P. breweriana, P. engelmannii, P. obovata, P. omorika, P. pungens, P. schrenkiana, P. sitchensis, P. spinulosa, P. torano
Voici les caractéristiques observables de notre Epicéa :
Mettons toutes ces caractéristiques observées dans un tableau et à l'aide d'un guide (*), voyons quelles espèces d'épicéa répondent à tous ces critères :
Espèces de Picea | Stomates présents seulement sur la face foliaire inférieure, d'ordinaire répartis en deux larges bandes ; feuille en général aplatie | Cône de longueur inférieur à 8 cm | Ecailles des cônes ligneuses, d'ordinaire rigides | Ecailles des cônes arrondies à l'apex |
P. abies | section presque quadrangulaire | 12 à 20 cm | X | |
P. alcoquiana | ||||
P. brachytila | X | X | ||
P. breweriana | X | 10 à 15 cm | X | X |
P. engelmannii | X | |||
P. obovata | X | X | ||
P. omorika | X | X | X | X |
P. pungens | ||||
P. schrenkiana | X | X | ||
P. sitchensis | X | |||
P. spinulosa | X | 7 à 11 cm | X | X |
P. torano | X | X |
(*) Source des informations utilisées pour l'identification : Photo-guide des arbres d'Europe de Keith Rushforth, éditions delachaux et niestlé (2000).
Trois espèces d'Epicéa répondent aux critères : P. breweriana, P. omorika et P. spinulosa. Voici quelques observations pour les 3 espèces :
P. breweriana :
P. omorika :
P. spinulosa :
Deux critères ont permis de faire la différence :
Le mystère est résolu ! Notre résineux est démasqué : ce n'est pas l'Epicea commun (Picea abies) indigène de France mais l'Epicéa de Serbie (Picea omorika). Son aire d'origine est la Bosnie-Herzégovine. Cet épicéa est souvent utilisé comme arbre d'ornement, sur sol calcaire comme sur sol acide.
Parc du château de Grouchy